Relever le défi pour empêcher que l’ordonnance de 1945 soit jetée aux orties

Le 4 Octobre 1945, le gouvernement provisoire présidé par le Général de Gaulle, publiait une ordonnance créant la Sécurité sociale.
Ambroise Croizat qui présidait la commission du travail et des affaires sociales à l’Assemblée consultative provisoire relata ce moment : « l’ordonnance du 4 Octobre 1945, à laquelle est à juste titre, attaché le nom d’un ami qui nous est commun à tous, M. Alexandre Parodi, a été le produit d’une année de travail, au cours de laquelle des fonctionnaires, des représentants de tous les groupements et de toutes les organisations intéressées, des membres de l’Assemblée consultative provisoire, dont certains font partie de la présente Assemblée, ont associés leurs efforts pour élaborer un texte que le gouvernement de l’époque a, en définitive, consacré conformément à l’avis exprimé par 194 voix contre 1 à l’Assemblée consultative ».
C’est l’acte fondateur. Cela dépassait toutes les formes antérieures liée à la charité, à des secours et de ce qui était resté lettre morte : le principe de solidarité sociale dans la déclaration des droits de l’homme de 1793.
L’ordonnance était tout autre que le système des Assurances sociales (loi du 5 avril 1928 complétée par celle du 30 avril 1930) mis en place laborieusement avec les mutuelles.
Cet acte fondateur n’est pas venu par hasard, il est l’œuvre des résistants et du Conseil national de la résistance qui déclarait dans son programme : « un plan complet de sécurité sociale, visant à assurer à tous les citoyens des moyens d’existence, dans tous les cas où ils sont incapables de se le procurer par le travail, avec gestion appartenant aux représentants des intéressés et de l’État ».
Croizat ne fut en tant que président de la commission du travail et des affaires sociales, avec Pierre Laroque premier directeur de la Sécurité sociale et Buisson rapporteur du projet, l’artisan politique de son contenu pour donner toute l’ampleur aux préconisations du CNR.


Il fut incontestablement celui qui mit en musique l’ordonnance du 4 octobre 1945.
Croizat avait retrouvé sa place de député à la libération et il jouissait d’un prestige important, lui le dirigeant de la plus importante fédération de la CGT, celle de la métallurgie qui avait joué un rôle considérable lors des accords du front populaire.
Il bénéficia d’un rapport de force considérable, celui de la CGT et du parti communiste français devenu le premier parti de France à la libération.
Concrètement, dès qu’il fut ministre du travail et de la Sécurité sociale en novembre 1945, il fit en sorte que cette ordonnance ne reste pas lettre morte. Les débats à l’Assemblée provisoire prouvent avec quelle ardeur il se mit au travail pour qu’elle soit appliquée et qu’elle aille très loin et qu’elle soit à destination de tous les français.
En fait, plus loin que l’ordonnance du 4 octobre 1945, par une loi de du 22 mai 1946 portant généralisation de la Sécurité sociale et la loi du 13 septembre 1946 qui ne fut pas un hasard, ni un acte anodin ; elle se situa dans un moment où le débat va s’engager entre partisans et détracteurs d’une Sécurité sociale pour tous. Cette loi avait pour but d’engager la perception des cotisations au 1er janvier 1947 et l’ouverture des prestations au 1er avril 1947.
En effet il se manifestait pour certains l’idée que l’édification d’une Sécurité sociale ne résistera pas à la difficulté de la réaliser et de la perspective qui se dessinait déjà du renvoi des ministres communistes du gouvernement provisoire qui réglerait la question.
Cette loi exprimait donc la volonté manifeste de concrétiser rapidement la généralisation de la Sécurité sociale.
Croizat savait que les détracteurs de la Sécurité sociale tabler sur les atermoiements pour tout au moins en réduire la portée notamment sur les principes d’unicité.
Des députés de droite travaillèrent pour reporter la date effective de l’inscription de chaque français dans un système unique.
Des forces centrifuges – où l’on retrouve pêle-mêle, le patronat, la hiérarchie catholique, la CFTC, les Cadres,- et les milieux libéraux de l’époque -d’où surgira plus tard le poujadisme, enfant du FN, se ligueront pour briser l’élan et rendre impraticable la généralisation de la Sécurité sociale.
La loi du 13 septembre 1946 obligeait donc à l’application à l’application concrète de la Sécurité sociale.
Ambroise Croizat fut certainement l’homme le plus ouvert pour dépasser les incompréhensions en dissipant les craintes de certaines organisations comme la Mutualité française auquelle un accord permettra qu’elle puisse continuer à jouer un grand rôle dans la prévention et à demeurer présente dans le cadre de la Sécurité sociale.
Ainsi des compromis furent trouvés avec la Mutuelle générale des fonctionnaires pour fonctionner dans la cadre de la Sécurité sociale.
De même seront dissipées les craintes des médecins concernant le maintien d’une médecine libérale.
Quand au monde agricole, la séparation fut entérinée du fait de l’extrême difficulté à les intégrer dans la Sécurité sociale. Les professions relevant de l’agriculture aurait pu se joindre à la Sécurité sociale et permettre de meilleures conditions pour cette population qui allait subir un appauvrissement considérable du fait de l’évolution de l’agriculture et de la disparition de la quasi-totalité des petites exploitations.
Le point de rupture se fit surtout avec les professions libérales et particulièrement les commerçants et artisans que défendaient le MRP et leur porte parole le député Viatte.
Le débat fut vif après le vote de cette loi du 13 septembre, et Croizat, ministre du travail et de la Sécurité sociale, dût surseoir à l’inscription d’une partie des français à la généralisation de la Sécurité sociale. Pierre Laroque résumait cette situation en indiquant, je cite «  en présence de la force de ces campagnes, le ministre Ambroise Croizat estime qu’il ne peut être question d’appliquer la Sécurité sociale à ceux qui n’en veulent pas et décide qu’il y a lieu de suspendre l’application de la loi et de constituer une commission … ». Ambroise créa donc une commission pour tenter de résoudre leur intégration dans le système de la Sécurité sociale.
Cette opposition avait des relents politiques évidents en lien avec l’objectif de bloquer les avancées nouvelles en matière de protection sociale protectrice et solidaire.
Il faut rappeler que le MRP ne voyait pas d’un bon œil la création d’une Sécurité sociale universelle basée sur une caisse unique remettant en cause le vieux système des Assurances sociales avec les caisses d’affinités où le patronat et l’église dominaient avec quelques élites politiques à travers une multitude de caisses.

Ce 4 Octobre 1945 ouvrait donc un vaste chantier que Croizat mis-en en mouvement dès qu’il fut ministre de la Sécurité sociale et du travail : je le cite « : Cette Sécurité sociale, née de la terrible épreuve que nous venons de traverser, appartient et doit appartenir à tous les français et à toutes les françaises sans considération politiques, philosophiques, religieuses. C’est la terrible crise que notre pays subit depuis plusieurs générations qui lui impose ce plan national et cohérent de sécurité ».
Croizat eut l’immense mérite de refuser l’idée de l’étatisation de la Sécurité sociale et de l’impôt comme forme de financement permettant d’exonérer le patronat de toutes cotisations.
Ambroise Croizat était un constructeur, il connaissait les expériences menées dans la métallurgie avant guerre et notamment après la victoire du Front populaire où les métallos CGT de la Région parisienne mirent en place toute une panoplie de droits en matière de protection sociale et il s’en inspira pour mettre en œuvre le plan de Sécurité sociale du CNR. Ce qui fut génial de sa part, c’est qu’il n’en fit pas une affaire de quelques uns, il la fit avec la population et le monde du travail de l’époque : il s’appuya sur les organisations de la CGT et celles-ci montèrent bureaux et permanences y compris dans les grandes entreprises.
Il paya de sa personne sillonnant toute la France à la rencontre des syndicats et des populations. Il imposa une Sécurité sociale dans son unicité, la sortant par la caisse unique de toutes les structures diverses et particulières existantes tenues par la patronat, des collectivités locales, des notables divers et variés, les congrégations religieuses ; tout ce beau monde qui dominaient les assurances sociales de l’époque très inégalitaires selon les caisses.
Les français ne tardèrent pas à se rendre à l’évidence de son efficience : la Sécurité sociale était née et elle apportait dans un pays détruit par la guerre et l’occupation les réponses immédiates en matière de santé, de retraites, d’allocations familiales et en matière d’accidents du travail et de maladies professionnelles.
Aujourd’hui, elle est en danger avec la volonté du Président de la République et de son gouvernement de toucher à ce que les français considèrent comme la plus belle conquête sociale. Le système de retraite que veut imposer le Président de la République est l’envers d’une retraite assurée et solidaire.
Croizat voulait un système de Sécurité sociale unique mais pas celui que nous propose Macron, un régime qui deviendrait de plus en plus à la charge des salariés et des retraités avec le régime à points négation de la solidarité intergénérationnelle.
En fait le projet du gouvernement vise ni plus ni moins à gommer cette ordonnance symbole de la solidarité intergénérationnelle.
Croizat a été longtemps ignoré, même des historiens niaient son rôle dans la mise en place de la Sécurité sociale ; ce que l’on peut dire c’est qu’il fut certainement le personnage central de son existence réelle par sa détermination à la concrétiser sur le terrain et à lui donner l’assise financière nécessaire par la cotisation salariale et patronale basée sur l’assiette salariale. Il fut un lecteur assidu de Beveridge, qui, en Grande Bretagne mis en place un système de Sécurité sociale par l’impôt ; ce que refusa Croizat et pour une seule raison faire en sorte que ce ne soit pas l’Etat qui décide et gère la Sécurité sociale mais les assurés.
Quand on y regarde de près, l’intervention de l’Etat depuis les ordonnances de 1967 consiste à retirer des mains des travailleurs cette sécurité sociale et la réforme actuelle vise à la remettre dans les mains du capital : et je reprends pour conclure cet article la déclaration de Denis Kessler en 2007 dans la revue en 2007 « Challenges » qu’il fit à l’adresse de Sarkozy Président de la République: « Le modèle social français est le pur produit du Conseil national de la Résistance. Un compromis entre gaullistes et communistes. Il est grand temps de le réformer, et le gouvernement s’y emploie … À y regarder de plus près, on constate qu’il y a une profonde unité à ce programme ambitieux. La liste des réformes ? C’est simple, prenez tout ce qui a été mis en place entre 1944 et 1952, sans exception. Elle est là. Il s’agit aujourd’hui de sortir de 1945, et de défaire méthodiquement le programme du Conseil national de la Résistance ! ».
Nous y sommes.
A nous salariés et retraités de relever le défi et d’empêcher que cette ordonnance de 1945 soit jetée aux orties.

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